« Wipe Time »

« Dans les temps anciens, le pouvoir était détenu par ceux qui avaient accès à l’information.

Aujourd’hui, avoir du pouvoir signifie savoir ce qu’il faut ignorer. »


Yuval Noah Harari, « Homo Deus »

L’économie de l’attention n’est pas née avec Internet, mais c’est seulement dans l’époque récente qu’elle a atteint son plein potentiel.

Depuis toujours, les médias échangent des contenus contre de l’attention, qu’ils revendent ensuite aux annonceurs.

Cependant, les réseaux sociaux ont porté ce phénomène à un niveau disruptif, transformant chaque instant de notre temps libre en une occasion de nous enfermer dans une cage d’informations non pertinentes.

Des plateformes comme Instagram, TikTok et YouTube ont été conçues pour nous garder accrochés : lecture automatique, notifications, défilements infinis.

Tout a été pensé pour stimuler sans relâche notre cerveau. Ce n’est pas un simple divertissement : c’est de la conception comportementale.

Notre temps devient le produit, notre attention leur monnaie d’échange.

En premier lieu, le temps : des heures et des heures chaque jour que nous n’investissons pas dans la lecture, les relations ou la réflexion.

La qualité de notre attention en souffre également : l’alternance continue entre tâches, notifications et distractions en ligne érode notre capacité à nous concentrer profondément.

Le soi-disant « résidu d’attention » nous laisse l’esprit toujours ailleurs, même lorsque nous devrions être présents.

Ensuite, il y a la santé mentale. L’utilisation intensive des réseaux sociaux est liée à des états d’anxiété, d’isolement et de dépression de plus en plus répandus.

Nous nous comparons continuellement à des versions filtrées des vies des autres, alimentant un sentiment d’inadéquation.

De plus, chaque interaction est potentiellement monétisée.
Les plateformes collectent nos données, les analysent et les revendent pour prévoir (et manipuler) nos comportements.

Les créateurs – et pas seulement les utilisateurs – sont également victimes du système.

Pour « fonctionner » dans l’économie de l’attention, en effet, les contenus doivent être courts, viraux et sensationnalistes.

Les titres clickbait, les opinions polarisantes et les simplifications excessives obscurcissent l’approfondissement.

La qualité cède la place à la visibilité à tout prix.

C’est un cercle vicieux. Les plateformes optimisent pour l’engagement. Les utilisateurs s’adaptent. Les créateurs font tout pour se démarquer, et ainsi le système s’auto-alimente.

Le résultat est un écosystème informatif bruyant, réactif et partiel, conçu pour susciter des émotions fortes – souvent de la colère, de la peur ou de l’indignation.

Non pas parce que nous sommes plus en colère, mais parce que l’indignation est un excellent catalyseur d’attention.

Lorsqu’un système informatique est corrompu en raison d’une quantité excessive de fichiers inutiles, de la redondance de la base de données ou d’une mise à niveau, il est nécessaire d’effectuer un « wipe » : un nettoyage qui ramène le logiciel à son état initial pour le faire redémarrer allégé et plus performant.

Nous aussi, nous avons besoin d’un « wipe », c’est-à-dire d’une nouvelle prise de conscience.

Les plateformes ne sont ni neutres ni amicales, et les contenus que nous consommons (et produisons) sont façonnés par des incitations économiques précises.

Ce n’est qu’en reconnaissant cela que nous pouvons commencer à inverser la tendance.

Si nous continuons à la distribuer sans discernement, ce sera toujours quelqu’un d’autre qui décidera de ce qui mérite d’émerger.

Il nous appartient de choisir si nous voulons rester des utilisateurs passifs ou exiger un système qui fonctionne à notre avantage.

C’est pourquoi, depuis un certain temps, j’ai commencé à ne plus faire défiler les fils d’actualité, mais à rechercher l’information à la source : livres, blogs, podcasts, newsletters, YouTube (au milieu du bruit, il y a des personnes extraordinaires) et même quelques comptes de réseaux sociaux soigneusement sélectionnés de personnes compétentes.

Nous devons nous mettre au régime : désormais, ce ne sont plus les contenus qui doivent nous chercher, mais nous qui devons les rechercher.

Nous devons reprendre en main notre culture, notre santé mentale et notre relation avec toutes ces personnes qui nous enrichissent réellement.

Si nous ne le faisons pas, nous céderons une grande partie de notre avenir aux marchands d’attention.

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